Image muette, image sourde, image accompagnée
Pendant les trente premières années du cinéma,
que l'on nomme génériquement le « cinéma
muet », les projections sont loin d'être silencieuses
; il y a dans la salle un bonimenteur, une musique d'accompagnement,
ou même parfois des essais de « synchronisation
vivante » avec des acteurs ou des chanteurs cachés
derrière l'écran, éventuellement en liaison
avec un système de bruitage.

Voix ajoutée, voix rêvée
Les bonimenteurs, les conférenciers racontent, commentent
l'action, la situent dans l'espace et le temps, prêtent
leur voix aux acteurs, révèlent leurs pensées,
leurs sentiments. Ils lisent les intertitres à un public
majoritairement analphabète - on se souvient que le
cinéma est à ses débuts un spectacle
de foire -, les traduisent aussi pour les films étrangers.
Ces intertitres, de la simple explication à l'interprétation,
doublent un temps le rôle du bonimenteur jusqu'à
l'éclipser tout à fait (vers 1909 pour la France,
le langage cinématographique s'élaborant alors
que le public se familiarise avec les images animées).
Leur emploi est aussi varié. Ils présentent
les protagonistes, les acteurs, donnent des indications spatio-temporelles,
résument les ellipses narratives, annonçent
la suite des événements ou retranscrivent les
dialogues. Quels dialogues, direz-vous ? Ceux auxquels la
caméra reste sourde lorsqu'elle filme l'agitation incessante
des lèvres d'acteurs qui se parlent, téléphonent
et même chantent. Ce cinéma, dit muet a posteriori
(plutôt « sourd » selon le mot de Michel
Chion), loin de nier la voix ou d'en faire le deuil, la fait
imaginer.
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