L'AGE D'OR
1920 : Les avant-gardes
Dans les années 20, trois avant-gardes vont se succéder.
Les artistes s'emparent du cinéma. Qu'ils soient photographe
surréaliste, comme Man Ray, ou musicienne impresionniste,
comme Germaine Dulac, ils s'enthousiasment ensemble pour les
films de Griffith et Chaplin, exportés après-guerre.
Le cinéma américain avait fait des progrès
que le conflit n'avait pas permis d'accomplir en Europe où
le cinéroman poursuit sa carrière grâce
à des spécialistes du genre (Ferdinand Zecca,
Victorin Jasset, Edouard Violet, Luitz-Morat ou Jean Kemm).
Il est critiqué par les auteurs d'avant-garde et leurs
théoriciens, Louis Delluc en tête. Sous sa houlette,
la première avant-garde tente de donner ses lettres de
noblesse à ce nouveau langage sans vocabulaire ni grammaire.

Marcel L'Herbier compose des plans stylisés, promenant
les personnages de "L'inhumaine" (1924) dans un univers
imaginaire créé de toutes pièces par l'architecte
Robert Mallet-Stevens et le peintre Fernand Léger. Jean
Epstein recourt dans "Finis Terrae" (1929) à
des procédés techniques jusque-là inusités
(passage de la bande-son à l'envers, ralentis, accélérés,
surimpressions), plus à même de suggérer
la fuidité de ses impressions. Germaine Dulac construit
"La Fête espagnole" (1919) comme une partition
musicale, usant du montage comme d'une baguette de chef d'orchestre.
Enfin, Abel Gance réalise ses oeuvres les plus novatrices.
Dans "La Roue" (1923) et "Napoléon"
(1927), il expérimente de nouvelles techniques de prise
de vue, des effets de montage audacieux. Anticipant même
sur l'avènement du parlant, Gance oblige ses comédiens
à réciter précisément leur texte
dans le but de sonoriser, lorsque la technique le permettra,
ses films muets.
La deuxième avant-garde, elle, est dadaïste
et surréaliste. René Clair inaugure ce mouvement
avec "Entr'acte" (1924), bientôt suivi par Jean
Grémillon, Man Ray, Marcel Duchamp, Antonin Artaud, Salvador
Dali et bien sûr Luis Buñuel. Ils font du cinéma
un art subversif ("L'Age d'or" de Buñuel est
censuré dès sa sortie, en 1930). Les récits
en forme de "cadavres exquis", sautant du coq à
l'âne, les associations d'images et d'objets incongrus,
effets de flous, de superposition, juxtaposition de scènes
souvent provocatrices et absurdes font peu de cas de la narration
traditionnelle et cherchent avant tout à provoquer et
à innover.
La troisième avant-garde se veut plus
sociale. On y retrouve Georges Lacombe "La Zone",
1928), Jean Vigo, franchement libertaire ("A propos de
Nice", 1930) et Marcel Carné ("Nogent, Eldorado
du dimanche", 1930). Ils portent un regard sans complaisance
sur la réalité. Leur vocation est plus documentaire,
bien qu'ils aient recours à aux effets expérimentés
par leurs prédécesseurs.
Mais l'avant-garde ne résiste pas à
l'avancement du parlant qui accentue les orientations narratives
et réalistes du cinéma. En effet, de leur côté,
Henri Fescourt, Raymond Bernard, Jacques Feyder, Léon
Poirier, Jacques de Baroncelli développent les fondements
du cinéma français classique, basé sur
des adaptations littéraires ou théâtrales.
Les indutriels et les techniciens continuent
leurs recherches. L'invention du phonographe, en 1877, par Thomas
Edison, autorisait déjà l'enregistrement et la
restitution du son. L'invention de la bande magnétique
(1898), le développement du phonographe en accompagnement
des films (1912), les premiers essais de prise de son avec un
matériel spécifique (1921) permettent le développement
du cinéma sonore et le cinéma apparait dès
1929 ("Le Collier de la reine" de Gaston Rouvel ;
"Les Trois Masques" d'André Hugon). Autre axe
de recherche : le formet. Abel Gance en est, comme pour le son,
un précurseur. Il projette son "Napoléon"
sur tois écrans juxtaposés en 1926. Mais le procédé,
trop complexe et coûteux, n'est pas exploité.
Les années 20 sont aussi celles des
premières crises économiques qui ne cessent de
ponctuer l'histoire du cinéma français. La guerre
de 14-18 a des conséquences désastreuses pour
Pathé et Gaumont. Les usines sont réquisitionnées,
les ouvriers mobilisés et le prix de la pellicule est
multiplié par trois. Les deux sociétés
françaises sont obligées d'interrompre leur production
pendant les premières années du conflit, n'assurant
que de façon inégale la distribution des copies
et l'exploitation des salles. La concurrence américaine
de l'immédiat après-guerre accentue la crise :
Pathé liquide ses succursales étrangères,
sa propre maison de production française et son usine
de pellicule en 1926. Désormais, Eastman Kodak détient
le monopole de la fabrication des films.